Les Auteurs du Cercle Littéraire de l'Escarboucle Bleue


SHERRINFORD

Une nouvelle HOLMESIENNE

de

MARTINE RUZE MOENS

 

 

 Depuis toutes ces années que je connaissais Holmes, jamais encore je ne l’avais vu revenir d’une enquête, comme il m'était apparu ce jour-là. Avait-il perdu la notion du temps, ou les forces maléfiques du Prince des Ténèbres l’avaient-elles partiellement envoûté ?

-"Tout sert de prétexte à diaboliser autrui ! Watson " me confiait-il, au cours de son récit.

Je fus autorisé par Sherlock Holmes à en faire un écrit ; je vous rapporterai donc tous les faits sans en rien changer.

Nous étions fin décembre 1899 : une matinée grise, humide, comme il en existe si souvent à Londres. Je n'avais pas vu Holmes depuis plus de deux semaines, et m'apprêtais à le retrouver à Baker Street. Je fis stopper mon cab une rue avant la sienne, souhaitant avant toute chose aller saluer Mathilde d'Alencourt. Depuis quelques années, la tendre idylle qui la liait à Holmes avait fini par la faire rapprocher de son détective préféré, et l'ancienne correspondante de ma défunte épouse Mary, logeait désormais dans une coquette demeure victorienne, située à proximité du 221 b. Elle y vivait avec son fils adoptif, Harry, un petit bonhomme âgé de six ans, qui occupait largement ses journées.

Noël était passé depuis deux jours, et les bras chargés de présents, j'actionnais vivement le cordon de son portail. A moitié frigorifiée par une petite pluie fine et glaciale qui commençait tout juste à tomber, Adélaïde, sa jeune domestique vint m'accueillir en courant. J'enjambai prestement les quelques marches du perron, et la suivis dans le vestibule, quand des pas résonnèrent aussitôt dans l'escalier, et Mathilde apparut. Elle était livide.

-John ! Dieu merci, s'écria-t-elle, vous êtes enfin rentré !

Je ne l'avais jamais vue dans un état pareil. Je me débarrassai rapidement de tout ce qui m'encombrait, et la serrai fortement dans mes bras. Je m'inquiétai de sa santé et de celle de Harry. Elle me répondit par de longs signes négatifs. Pendant qu'Adélaïde nous préparait un café, elle m'invita à m'asseoir dans son salon. Je m'enfonçai dans un profond et confortable fauteuil en cuir, et l’observai attentivement. Evidemment, sa pâleur et ses traits tirés parlaient pour elle.

- Qu’est-il donc arrivé à Holmes, pour que vous soyez dans un tel état ?

Elle tira son fauteuil près du mien, et soupira profondément.

- Depuis la semaine dernière, Sherlock est sur une affaire à Tredannick Wollas ; il n'est toujours pas rentré. C'est une drôle d'histoire qui m'inquiète énormément.

Tredannick Wollas ! pensais-je. Malheureusement, je connaissais déjà l'endroit pour y avoir séjourné avec Holmes, au printemps 1897. Je me souviens encore de l'effet produit par ce diabolique poison sur mon ami détective, ce terrible radix pedis diaboli, et de l'incroyable enquête qu'il élucidait sur place. Je tentais en vain de la rassurer.

- C’est qu’il est certainement sur une enquête assez compliquée, et qu’il n’a pas eu le temps nécessaire de vous prévenir. Quel jour est-il parti ?

- Le 21. En fin de matinée, il était passé rapidement me prévenir qu'il devait s'absenter de toute urgence. Il était terriblement nerveux. J’ai bien tenté d’en savoir un peu plus… sans résultat. Je l'ai attendu pour Noël…

- Et Mycroft, était-il avec vous, au moins ?

- A Noël ? Oui. Lui aussi semblait préoccupé par l'absence de son frère. C'est pourquoi hier soir, j’ai voulu le prévenir que Sherlock n'était toujours pas rentré, mais il n’y avait personne à son domicile. J'espérais le retrouver au Diogène Club, où il a l'habitude de passer ses soirées, mais le portier m'a dit qu'il ne l'avait pas vu! Quant à la logeuse de Sherlock, elle est déjà partie depuis le 20 décembre, pour passer les fêtes de fin d'année chez sa nièce. Je suis allée récupérer son petit chat, ce jour là. Dans sa précipitation, Sherlock a oublié les clés de Baker Street ici. J'y suis allée hier matin. Heureusement que Mrs Hudson n'était pas là, elle aurait certainement fait une crise cardiaque en constatant le désordre qui régnait dans le salon ! Comme si avant de partir, il avait recherché quelque chose de toute urgence.

Tentant de minimiser la situation, je répondais railleur :

- Rien d’étonnant à cela, voyons ! Depuis que je le connais, il a toujours rangé ses documents ainsi !

Mais connaissant également les vieilles habitudes de mon compagnon, l’affaire sortait certainement de l’ordinaire, pour qu'il réagisse de la sorte. Mathilde se leva et se dirigea vers son secrétaire ; elle me tendit une feuille de papier blanc.

- Tenez, John, prenez connaissance de cette lettre. Elle était restée sur sa table.

 

Cher Mycroft,

J’ai grand besoin de vous, car Sherrinford vient d’être accusé de meurtre. Il a été aussitôt emprisonné, mais ce pauvre garçon sera bien malheureusement incapable de se défendre seul ! Depuis un certain temps, il se passe de drôles de choses dans notre hameau ; un amas d’horreurs et de magie noire, semble-t-il ! En cette fin de XIXe siècle, on se croirait hélas revenu en plein Moyen Age !

Venez le plus rapidement possible à la cure, je vous en prie. La vie de Sherrinford en dépend, car il risque la pendaison.

Sincèrement Vôtre M. Roundhay,
Paroisse de Tredannick Wollas,

18 décembre 1899

- Sherrinford ? murmurais-je, étonné.

Personnellement, j'avais déjà eu l'occasion de rencontrer le père Roundhay avec Holmes, en 1897, mais je préférais taire l'horreur des Cornouailles à Mathilde ; une aventure que mon ami détective classait comme étant l'affaire la plus étrange qu'il n'ait jamais traitée.

- Vous allez vite comprendre qui est Sherrinford, dit-elle en me tendant un album de photographies. Ce qui est étrange, rajouta-t-elle, c'est que Sherlock m’avait assuré, il y a quelques temps déjà, qu’il n’avait jamais été photographié durant sa jeunesse. Et pourtant, j'ai retrouvé cet album sur son lit.

Je saisis l’album et le feuilletai. Divers portraits de la famille Holmes défilaient sous mes yeux. Mathilde m'en désigna un du doigt. Un couple était photographié avec trois enfants en bas âge. Sous le cliché, on pouvait encore y lire des noms et des dates écrits à l'encre bleue, légèrement passée par le temps. Siger Holmes, Violet Sherrinford, Sherrinford, 30 novembre 1845, Mycroft, 12 février 1847 et William Sherlock Scott, 6 janvier 1854, nos trois fils.

 

- ça alors ! m'écriai-je en la regardant. Sherrinford serait donc son frère aîné ?

- Cela vous étonne aussi ! Pourquoi nous l’a-t-il caché ?

Une fois de plus, je tentais désespérément de la rassurer.

- Comme vous avez dû certainement le constater, Holmes est quelqu'un de très mystérieux. Et tout au long de mon étroite amitié avec lui, je peux vous assurer que je l'ai très rarement entendu faire la moindre allusion à ses parents. Jamais il ne m’a évoqué le temps de son enfance, a tel point qu'il m'était arrivé à croire qu’il était orphelin et sans famille. Puis un jour, il s’est mis à me parler de son frère, Mycroft, de sept ans son aîné. C'est ainsi que j'ai découvert son existence. D'ailleurs, si vous lisez mon article du Strand Magazine " l’Interprète grec ", j’y traitais le sujet, dès le début de l’aventure.

- Et jamais de Sherrinford ? rajouta-t-elle, surprise.

- Non. Jamais entendu parlé !

- Regardez, on le retrouve encore ici. Il est en costume d'étudiant d'Oxford. Quel âge peut-il avoir à votre avis ?

-Treize, ou quatorze !

Elle referma l'album, en murmurant.

- Malheureusement, on ne pourra guère en savoir davantage, l'album est à moitié rempli. C'était la dernière photo.

Elle le déposa sur son buffet, puis revint vers moi.

- Sherlock avait également sorti de très nombreux livres de sa bibliothèque, et comme vous devez bien vous en douter, tous avaient un rapport avec la sorcellerie, le diable et la magie noire. Certains d'entre eux avaient même des pages arrachées…. John, comme ces diableries me tourmentent, gémit-elle, en se rasseyant. Comprenez-vous à présent, mon inquiétude ? Que pourrions-nous faire pour l'aider ? Existerait-il un moyen pour le joindre là-bas ? Si j'envoyais un télégramme au curé de Tredannick Wollas, pourrait-il me rassurer ?

Pensant que cela l’aiderait moralement à tenir encore quelques jours de plus, j’acquiesçai illico. J'avalai rapidement la tasse de café que venait de me servir Adélaïde, et l'accompagnai jusqu'à la poste.

Le 29 décembre, Mathilde recevait une réponse du curé de Tredannick Wollas, mais elle nous apportait très peu d’informations, puisque le télégramme du Père Roundhay était ainsi libellé :

 

 

 

Chère madame,

Sherlock Holmes se trouve en ce moment dans l’impossibilité de vous joindre. Mais dès qu’il le pourra, il vous fera savoir rapidement la date de son retour.

M. Roundhlay

Tredannick Wollas, le 28 décembre 1899

 

 

- C'est une véritable lapalissade ! me murmura-t-elle, déconfite.

Connaissant le père Roundhay, j'allais tenter, de mon côté, d'en savoir un peu plus, et le jour même, je lui envoyai un courrier.

 

 

 

31 décembre 1899

J'avais terminé plus tôt que prévu ma tournée médicale et j'en profitais pour aller rendre une petite visite à mon amie, dont l'état de santé me préoccupait de plus en plus. Holmes n'avait donné aucun signe de vie à Mathilde, et le curé de Trédannick Wollas n'avait toujours pas répondu à ma lettre. Mathilde m'invita à déjeuner avec elle. Ce jour là, un pâle soleil hivernal éclairait sa salle à manger et nous terminions notre repas. Subitement la cloche du portail retentit. Mathilde ne fit qu'un bond et se précipita en courant dans le couloir. Je reconnus enfin la voix de mon ami Holmes.

Quand il entra dans la salle à manger, je le regardais à deux fois. Il portait une barbe d'au moins huit jours. A son front, une vilaine plaie commençait tout juste à se cicatriser. Tout comme une momie, sa main gauche était bandée.

- Watson ! dit Holmes en me tendant une chaleureusement poignée de main, votre congrès est déjà terminé !

- Oui, cher ami, et cela fait longtemps… depuis le 27 !

- Ah! s'exclama-t-il, surpris. Et quel jour sommes-nous donc ?

- Le 31.

Sans rien ajouter d'autre, il s'assit à notre table. Nous n’osions pas trop le questionner et attendions patiemment qu’il se décide à nous dire quelque chose. Adélaïde le servit. Il déjeuna de bon appétit, en restant silencieux. Arrivé au café, il observa Mathilde. Et comme s'il se réveillait, déclara subitement :

- Il est donc inutile de vous demander si vous avez bien dormi. Votre mine de déterrée parle pour vous, ma chère, et j’en déduis facilement que cela doit faire plusieurs nuits que vous n’avez pas fermé l’œil !

 

En l’approuvant longuement, son regard passa de la tête à la main blessée de Holmes.

- Très bonne déduction Sherlock, mais je pourrais vous retourner le même compliment. Votre état ne semble guère florissant depuis votre départ !

- Très juste, dit Holmes. J'avoue que cette satanée affaire m’a mené la vie dure.

- Holmes, est-ce encore à Tredannick Wollas qu’on vous a esquinté de la sorte, mon ami ? Ne verriez-vous pas d'inconvénient à ce que je défasse votre bande ?

- Soit ! docteur, dit-il en me tendant sa main bandée. S’il n’y avait eu que la main, renchérit-il, mais comme vous pourrez le constater, Watson, la bête à la peau dure!

Le coude appuyé sur la table, il posa son menton dans sa paume droite. Puis il ferma les yeux, comme s'il refusait de voir ce que j'allais dévoiler. Mathilde se leva discrètement. Pendant que je défaisais délicatement les dernières bandelettes restées collées sur le dos de sa main, elle déposa sur la table l’album de photographies, la lettre destinée à Mycroft, ainsi que le télégramme du curé de Tredannick Wollas. L’album l’ayant légèrement frôlé, Holmes sursauta. Il ouvrit les yeux, puis se redressa sur sa chaise comme un coq en colère.

- Et cela ne vous a pas trop gênée d’aller fouiller dans mes affaires à Baker Street! s'écria-t-il sèchement.

- Et cela ne vous a pas trop gêné de ne pas m’avoir donné de vos nouvelles pendant plus de dix jours ! répliqua-t-elle, sur le même ton.

Je me levai discrètement, les laissant à leurs reproches réciproques, et récupérai dans le couloir ma valise médicale.

Holmes avait saisi le télégramme et le lisait. Durant un court instant, il resta pensif, comme s’il essayait de regrouper du plus profond de sa mémoire les morceaux d’un puzzle, qui reprenait forme tout doucement sous ses yeux. Comme pour prendre un élan, il inspira intensément, puis expira de toutes ses forces, afin de mieux se lancer dans son terrible récit.

- "Le 21 décembre, en début de matinée, Mycroft m'apportait la lettre du père Roundhay. Ce nom ne vous est certainement pas inconnu, Watson !

Les yeux bleus de Mathilde me questionnèrent et me fusillèrent sur place. Je plongeais illico le nez dans ma trousse médicale.

- Je n'avais pas souhaité vous en parler à cette époque là, docteur, mais le fait d'avoir choisi cet endroit pour me ressourcer n'était pas un pur hasard ! Ce brave curé est toujours resté en contact avec nous pour la simple et bonne raison qu’il veille depuis plus de vingt ans sur notre frère aîné, Sherrinford.

Je venais d’avoir six ans et Sherrinford en avait quatorze. C'était un brillant élève, faisant la fierté de nos parents puisqu'en 1858, il entrait à Oxford. Mais en cours d'année, une méningite foudroyante a stoppé net ses études. Au bout de nombreux mois de soins intensifs, il s’en sortait, mais à quel prix ! Comme vous devez bien vous en douter, cher docteur, son cerveau avait subi de terribles lésions. Malheureusement, il fut rapidement considéré comme un attardé mental. A la mort de mes parents, un ami de Mycroft lui communiquait l'adresse de ce brave curé, qui le gardait en pension chez lui, dans ce hameau de Cornouailles. Cela fait plus de vingt ans qu’il vit là-bas. Nos obligations professionnelles à tous les deux nous ont séparés de lui. Mais de son côté, depuis 1859, la mémoire de Sherrinford a définitivement effacé ce que signifie le mot "frère".

Silencieux et attentifs, nous écoutions Holmes, Holmes lancé dans son histoire, Holmes qui nous dévoilait ce terrible secret de famille, ce secret si longuement conservé au fond de sa personne.

Ce matin là, continua-t-il, la lettre du père Roundhay nous apprenait que Sherrinford se trouvait en prison. Voilà pourquoi, Mathilde, je suis parti si brutalement à Tredannick Wollas.

Holmes m'observa, alors que je terminais de lui soigner le dessus de sa main gauche, couvert de vilaines brûlures.

- Ce n'est pas très joli, joli, Holmes, mais je pense qu’il serait préférable de ne pas remettre la bande. Les plaies finiront bien par se cicatriser à l’air libre et d'ici quelques t….

- Watson, m'interrompt-il subitement, que savez-vous du diable, au juste ?

Surpris, je levais la tête vers lui, légèrement décontenancé.

- Pas grand chose, mon ami. Il peut être Satan, Lucifer ou encore le Prince des ténèbres.

- Savez-vous que j’ai découvert que son apparence peut également varier au gré des coutumes et de l’histoire. On a tendance à le représenter souvent en rouge, mais il peut être également tout vert, et déjà au VIe siècle les peintures et ornements servaient à effrayer les illettrés. C'est ainsi que les dévots de l’église et les croyants expiaient leurs pêchés, la peur de la mort et de la Damnation éternelle. D'ailleurs, on peut lire également dans le Nouveau Testament que maladies incurables et laideur sont le signe du Malin. Superstition populaire, simples jalousies de voisinage, maladies inconnues et souvent d’ordre mental… et vous voyez certainement où je veux en venir en vous disant cela ?

- Sherrinford ? murmurai-je, en hésitant quelque peu.

- Exactement !

- Holmes, à vous entendre parler ainsi, on a vraiment l’impression d’être encore en plein Moyen-Age ! Voyons mon ami, pas à notre époque ! Cela n’existe plus ces histoires là ! Ce soir, aux douze coups de minuit, nous passerons en 1900 !

Avec le petit rire sec qui chez lui pouvait passer pour un véritable éclat de rire, il me répondit :

-Ah ! Ah! détrompez-vous, Watson. Plus que jamais, le Malin fait un retour en force, grâce à l’imagination romantique des artistes. Les Anglais inventent les romans gothiques peuplés de châteaux hantés par les damnés. Souvenez-vous, dès 1818 déjà, le personnage de Frankenstein était né sous la plume de l’écrivain Mary Shelley. Et en Allemagne, Faust enflammait l’imagination de Goethe qui en faisait une pièce, c'était en 1832, ce n'est pas si vieux que cela ! Berlioz a même écrit un opéra en 1846 : la " Damnation de Faust "… même si cela a été un échec pour lui.

- Effectivement Holmes, et si je me rappelle bien, vous aussi, lorsque vous faisiez du théâtre dans votre jeunesse, ne m’avez-vous pas raconté un jour que vous aviez été très remarqué dans le rôle de Méphistophélès, dans Faust justement ?

-Bravo, Watson ! Excellente mémoire mon ami. Sacré Johannes Faust et son pacte qui l’unira au diable en 1510, en vendant son âme à Méphistophélès, contre le savoir ! Savez-vous également que les écrits de Bram Stoker " Dracula " et ceux d’Edgar Poe font toujours frémir les foules en Amérique ? Le satanisme est partout à la mode !

- Sherlock, s'exclama Mathilde épouvantée par les propos fiévreux du détective, mais comment est-ce encore possible une chose pareille ? A notre époque ? C’est de la pure folie ! Mais que peuvent-ils bien trouver à Satan ?

Son regard vif et pétillant se tourna vers elle.

- Mais Satan est un individu qui a une personnalité bien marquée, avec des qualités et des défauts, comme tout le monde ! C'est un pervers et un orgueilleux, qui peut être aussi bien astucieux que contestataire. C’est un esprit libre, Mathilde, rajouta-t-il surexcité, un esprit qui a su se révolter contre l’autorité de Dieu.

Interloquée, ma pauvre amie dévisageait l'homme qu'elle aimait, en se demandant si vraiment elle ne rêvait pas.

- D’ailleurs, poursuivit-il dans un ton théâtral, Satan produit des prodiges de toutes sortes en créant des flammes, des orages, des tempêtes. Il autorise la musique, la danse et les plaisirs amoureux au Sabbat !

- Où ça ? questionna-t-elle, les yeux écarquillés.

- Au Sabbat. Mais c'est une fête qui consistait, au Moyen Age, en une abominable assemblée nocturne et très bruyante de sorcières, où elles pouvaient danser et festiner indécemment, et même s’accoupler diaboliquement !

Choquée par les propos déplacés tenus par Holmes, elle se leva subitement.

-Cela suffit amplement, Sherlock ! s'écria-t-elle, le visage empourpré. J'ai bien peur que vos paroles dépassent votre pensée, mon ami ! Ou alors le coup que vous avez pris sur la tête vous a complètement envoûté et dans ce cas, je vous conseillerai d'aller consulter de toute urgence un exorciste !

- Tut ! Il ne faut surtout pas plaisanter avec le diable ! s'écria Holmes, ravi d'avoir fait son petit effet. Bien évidemment, seules les sorcières se sont associées avec le Démon pour répandre le mal, car les sorcières ne peuvent rien sans les démons, et les démons ne peuvent rien sans les sorcières !

Sentant qu’elle le désapprouvait totalement, railleur, il rajouta de plus belle, en me prenant même pour témoin.

- Car la sorcellerie est très féminine, n'est-ce pas docteur ? Il suffit de voir que le maléfice s’exerce surtout dans l’œuvre de chair où la femme est à son aise, comme un poisson dans l’eau !

- Holmes ! C'est quand même trop facile, dans un tel cas, d’accuser la femme et de la classer séance tenante au rang de sorcière ! Et là, je rejoins Mathilde qui n'a pas tout à fait tort de s'insurger contre vos propos !

- Uniquement parce que la femme, par excellence, est une tentatrice comme Satan! Savez-vous, Watson, qu’au Moyen Age, elles ont été brûlées par centaines, étant considérées comme le symbole d’un être dangereux, dangereux à cause des pouvoirs malfaisants qui lui étaient liés, et dangereux parce qu’à la fin du XVe siècle, tout allait mal et qu’on assistait comme par hasard à une émergence de la femme. Certains "démonologues" ont même parlé du " siècle " de la femme. Cette tentatrice sexuelle a entraîné toute la société dans le péché. Elle allait être la cause de son effondrement !

A mon avis, ce fut une parole de trop. Il esquiva de justesse l’assaut de deux serviettes de table et d'un rond de serviette, et se faisant traiter de misogyne.

- Là, Holmes, vous l'avez quand même cherché !

- Pas du tout, docteur ! protesta-t-il énergiquement, je ne suis pas un misogyne ! Même si certaine personne, dans cette pièce, le pense énergiquement ! Mais c'est qu'au Moyen Age les hommes étaient autant fascinés qu’effrayés par la gent féminine, parce que leur corps faisait peur, car leur physiologie demeurait mystérieuse. Et la sorcière en elle-même cristallisait parfaitement ces deux valeurs différentes. Il valait mieux brûler la sorcière plutôt que l’homme ne reconnaisse son propre désir vis-à-vis de la femme !

- Et ont-elles été nombreuses à avoir été brûlées à cette époque là ?

-Oh !… que oui ! docteur, s'exclama-t-il en se levant soudainement pour fouiller désespérément dans le fond de ses poches. En Angleterre, on évalue à un millier le nombre de sorcières exécutées, ce qui est considérablement moins qu’ailleurs, puisqu’on a décerné à la France le tableau d’honneur pour sa chasse aux sorcières, avec félicitations ! La France, Mathilde, m'entendez-vous bien ?

Holmes arpenta la pièce de ses grandes enjambées, et se dirigea vers le secrétaire

- Heureusement que tout ce que vous nous racontez là, lui dit-elle, en le suivant des yeux, n’existe plus de nos jours, car toutes ces histoires de sorcières et de sorcellerie tourneraient plutôt à l’absurde et au cauchemar, franchement !

-Ce mot est tout à fait exact, rajouta-t-il, gravement. Un véritable cauchemar ! J'ai bien laissé une pipe en bruyère ? dit-il en farfouillant dans les tiroirs.

- Oui, elle est restée sur le buffet. Franchement, Sherlock, reconnaissez-le tout de même que ceci est complètement insensé !

- Pourtant, soupira-t-il, ce que je viens de vivre à Tredannick Wollas, a réellement tourné au cauchemar, ma chère !

La vieille pendule indiquait un peu plus de trois heures quinze. Holmes prit place dans un des fauteuils du salon. Nous l'entourâmes tous les deux. Je lui tendis ma blague à tabac. Il croisat ses longues jambes, puis se mit à remplir le fourneau de sa pipe. Une fois sa pipe allumée, il jeta machinalement l'allumette dans l'âtre de la cheminée, puis resta un petit moment à fixer le feu qui crépitait. Puis ses yeux gris perçants se tournèrent tout à coup vers moi.

"- Vous souvenez-vous de cet endroit des Cornouailles, Watson, où des tours indiquaient l’emplacement des villages ?

-Oui. Le plus proche était celui du hameau de Tredannick Wollas, si ma mémoire est bonne, avec ses maisons qui se regroupaient tout autour de la vieille église.

-Exact, Watson. Eh bien, lorsque j'arrivais en fin de journée là-bas, il faisait déjà nuit noire dans les ruelles. J'ai tambouriné à la porte de la cure. Une vieille femme est venue m'ouvrir. Je lui demandais s'il était possible de rencontrer le père Roundhay ; malheureusement, elle était muette, mais elle entendait parfaitement. Elle m'accompagna dans une vaste pièce, où une grande cheminée réchauffait l'atmosphère. Une agréable odeur de potage flottait encore dans l'air. Le Père Roundhay n'était pas là, mais un autre curé, petit homme rondouillard grisonnant, était attablé. Lorsque je franchis le seuil de la salle à manger, il leva la tête dans ma direction.

- Mais Sherrinford, s’exclama-t-il, jovial, mais entre donc mon garçon. Alors, tu le vois bien, les gendarmes ont quand même fini par te relâcher ?

La grande pièce étant plongée dans la pénombre, j’avançai vers lui.

- Monsieur le curé, je suis Sherlock Holmes, son frère cadet.

- Sherlock ? répéta-t-il

La stupéfaction se lisait sur son visage. Il saisit aussitôt la lampe à pétrole qui se trouvait sur la table et la dirigea vers moi.

-Sherlock, mais soyez le bien venu, mon fils, dit-il en se levant. Je suis le père Mason. Le père Roundhay devrait arriver d'un moment à l'autre.

Effectivement, quelques instants plus tard, il franchissait la porte. Majestueux et affable, il m’offrit aussitôt le gîte et le couvert, tandis que le père Mason prenait congé.

- Monsieur le curé, qu'entendez-vous par " un amas d’horreurs et de magie noire "?. Vous en faites allusion dans votre lettre. De quoi s'agit-il, exactement ?

- Que dieu me pardonne, me dit-il, les mains jointes, des bruits de confession mon fils, tout simplement. Mais il existerait une secte luciférienne dans notre région, qui connaîtrait de plus en plus d’adeptes. La fin de notre siècle y serait pour quelque chose, semble-t-il l'an neuf 1900 serait synonyme à leurs yeux de grand retour du démon. Ils se mettent à évoquer des croyances des siècles passés remontant jusqu'au Moyen Age. A ce nouvel engouement se mêleraient également des objets à tendance démoniaque, dont j'ignore les fonctions. Il semblerait que ce soient des objets de magie faisant appel à des figures emblématiques traditionnelles, tels que monstres, diables, et signes cabalistiques.

-Ne pensez-vous pas que cela correspondrait beaucoup plus à une sorte de magie populaire, au sens où leurs convictions et leurs coutumes seraient partagées par une communauté de personnes ancrées dans l’inconscient collectif, et qui mêleraient ainsi magie et religion ?

- C'est fort possible, fit-il en soupirant. Peu de temps avant cette terrible histoire, même Sherrinford m’a évoqué, un soir, le nom de Satan. Il m'a fait comprendre qu’il avait vu Satan, à côté d'un petit bois.

- Mais Sherrinford est-il capable de s’aventurer seul, sans s’égarer ?

- Il a pris l’habitude ces derniers temps de se promener dans la lande. Les aurait-il surpris un jour au cours d’une de leurs sataniques réunions ? Lui-même a-t-il été repéré par l’un d’eux, rôdant dans le coin et de ce fait, les dérangeant dans le déroulement de leur cérémonial ? Qui sait ! Tout est possible, mon fils. J’ai bien tenté de savoir à quel endroit cela était, mais hélas, il a été dans l’incapacité de me l’expliquer.

- Avez-vous une opinion précise sur la personnalité de ces gens qui opèreraient ainsi dans la lande, ou ailleurs ?

- Oh! il doit s'agir certainement d'un groupement d’individus fascinés par un Moyen Age de pacotille, et qui se passionnent pour l’occultisme, formant de ce fait une communauté bien spécifique.

- Mon père, j'ai lu dans certains livres qu'ils choisissaient en général des endroits bien clos, entourés de verdure, afin de mieux pratiquer leur lugubre cérémonie. Leur sorcellerie consisterait en une parodie sacrilège de la messe, où se mêleraient sans aucun doute orgie et satanisme, tout comme au Moyen Age, au cours du Sabbat ! J'ai également appris que récemment la renommée d’un certain Comte Cagliostro a déjà franchi les frontières de l’Europe. Pratiquant la magie cérémonielle, il prononçait les formules de la kabbale pour faire des prédictions et guérir. On parlerait de lui comme d’un nouveau Faust, ce Faust dont Goethe s’est lui-même emparé. Ne serait-il pas plausible dans ce cas, que des habitants du hameau s'en soient inspirés également ?

Désemparé par ce qu'il venait d'apprendre, le brave curé leva les yeux au ciel, la tête dodelinant.

- De quel crime Sherrinford a-t-il été accusé ?

- D’avoir violenté et tué une jeune fille habitant le village voisin, la jeune Alice Brent. Il a été retrouvé à côté du corps qui gisait à la lisière d’un bois isolé, le bois de Beauchamp Arriance.

- Et quel comportement avait-il, quand ils l’ont ainsi retrouvé ?

- Il était agenouillé, tout près d'elle.

- Comment a-t-elle été tuée ?

- Selon les informations du coroner, il s'agirait d'un violent coup de poignard en plein cœur.

- L’avez-vous vu ce poignard ?

- Non. En fait, la police n'a pas encore retrouvé l'arme du crime.

- Et Sherrinford avait-il des traces de sang sur lui ?

- Sa main gauche était pleine de sang.

- En êtes-vous certain ?

- Oui… Oui, oui, confirma-t-il.

- Qui les a découverts à l’orée du bois ?

- J’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un chasseur qui passait par-là. Il serait allé prévenir aussitôt la police du comté, leur signalant qu’un crime venait d’être commis. Sherrinford a été sur-le-champ accusé du meurtre. Ils ont bien essayé de le questionner, mais il ne put apporter la moindre réponse. Il devait certainement être plus effrayé qu’autre chose, face à tous ces policiers, le pauvre garçon ! Et pourtant, croyez-moi, Sherlock, il est incapable de faire du mal à une mouche !

- Demain matin, pourriez-vous m’accompagner jusqu’à ce bois ?

- Mais mon fils, je suis prêt à vous apporter toute mon aide sur cette affaire, afin qu'il puisse sortir de cette terrible situation ! Savez-vous qu'il risque la pendaison!

- Très juste, mon père. Aussi, afin de mener mon enquête le plus discrètement possible, j’aurais besoin d’être habillé autrement. Ne voyez-vous pas d’inconvénient, dans ce cas, à me passer une de vos soutanes ? J'ai dans ma valise quelques postiches qui dissimuleront la ressemblance avec mon frère aîné. Ainsi je pourrais mieux circuler dans le hameau, marchant à vos côtés, sans attirer le regard des villageois.

Le curé se dirigea vers une grande armoire, et me tendit aussitôt une soutane et une grande pèlerine.

- Avant d’aller jusqu’à Beauchamp Arriance, j'irai rendre une petite visite à Sherrinford dans sa cellule. En ecclésiastique, me laisseront-ils entrer plus facilement ?

- Je lui apporte régulièrement quelques fruits. Il adore les pommes. Dans ce cas, vous direz au gardien que vous venez de ma part.

 

-"Et c’est ainsi que le lendemain matin, après m’être longuement grimé, je me rendais à la prison du comté.

Le visage de mon ami Holmes changea subitement d’expression.

" Ce qui est étonnant, c’est qu’il est impossible de lui donner un âge exact. Il a eu 54 ans le 30 novembre, mais on pourrait facilement lui en donner dix de moins. Comme vous devez bien vous en douter, physiquement, il est grand et mince. Mentalement, il réagit toujours un peu comme un enfant. Il est bien évidemment très difficile de savoir ce qu’il peut penser réellement. Seuls ses yeux parlaient pour lui. L’air complètement perdu, il est venu immédiatement vers moi, surpris et craintif à la fois. Il a vivement attrapé le panier que je lui tendais, en y plongeant rapidement la main. L'expérience était concluante, car il utilisa sa main droite pour porter le fruit à sa bouche. Après avoir terminé la pomme, il a saisi ma main et l'a serrée fortement. Là, c’était terrible, Mathilde, car à cet instant précis, je n’avais plus qu’une seule envie : lui dire qui j'étais... que je venais pour l’aider, que j’allais tout faire pour le sortir de là ! Mais à quoi bon...

 

Rarement, j'avais vu Holmes dans un tel état de tristesse et d'impuissance. Ses yeux s'embuèrent, mais pudiquement il détourna la tête, préférant les fermer un court instant...

" -Le Père Roundhay m’attendait à la cure. Nous partîmes tous les deux dans la lande, cette terre de rêve par excellence. Une fois arrivés à la lisière du bois de Beauchamp Arriance, où le corps de la jeune Alice avait été retrouvé, je tentais d'examiner le secteur "à la loupe", mais hélas, le terrain ne ressemblait plus à grand chose. Il avait plu depuis plusieurs jours, et beaucoup trop d’empreintes de pas brouillaient les pistes, là où le sol avait été foulé à plusieurs reprises. Je laissais le père Roundhay loin derrière moi, et tentais de m'aventurer un peu plus en profondeur dans les fourrés. Mais à quelques mètres de l’endroit fatidique, je l’entendis subitement me crier :

- Attention, mon fils, vous vous rapprochez du trou !

Surpris, je me retournais brutalement vers lui.

- Du trou ? Où ça ?

Il souleva légèrement sa soutane, et courut vers moi.

- C’est par-là, dit-il en me l'indiquant du doigt. Faites très attention. Avec les petits buissons à feuilles persistantes, on ne le voit pas toujours. Il s'agit du "trou du diable". Il est ainsi nommé dans la région, car au fil des siècles, beaucoup de lieux étranges ou ayant mauvaise réputation, tels caverne, rocher, pont ou trou, ont été associés au diable. Et ce trou est réputé pour être très dangereux, car nul ne sait où il aboutit exactement. Beaucoup d'animaux ont disparu dans ce secteur depuis des décennies. Alors les villageois ont supposé qu’ils étaient tous tombés dans ce terrible piège. Ils l'ont ainsi baptisé, pensant qu'il devait atteindre les profondeurs de "l'enfer". Depuis, il a été protégé par une grosse grille en fer forgé, mais au fil des ans, je crains que la rouille ne l'ait attaquée.

J’observais attentivement le paysage qui s’offrait à moi. C'était un endroit mystérieux et ensorcelant à la fois, la lande comme vous l'aimez tant, Mathilde, qu'une petite brume hivernale recouvrait. Je me rappelais que le Père Roundhay était vaguement archéologue.

- Ne serions-nous pas dans une région karstique, par hasard ? demandais-je.

- Effectivement mon fils, car j'ai constaté lors d’une étude minutieuse des couches successives du sol, que le terrain était assez calcaire dans le secteur.

Je me rapprochais dudit trou et sans trop de difficulté, je parvenais à dégager la grille rouillée qui protégeait son entrée. Effectivement, c'était très profond.

- Posséderiez-vous une très longue corde à la cure?

-J’ai bien des cordes d'une certaine longueur qui me servent à sonner les cloches. Mais pour quelle raison, mon fils ?

-Pour mieux me rendre compte de la profondeur des lieux, mon père !

Le regard rempli d'effroi, le curé dodelinait de la tête :

- Là, croyez-moi, je crains que ce soit de la pure folie, Sherlock ! Ne faites surtout pas cela tout seul !

- Pourtant, il le faudra bien, mon père.

- Dans ce cas, je vous prêterai main forte !

Et quelques heures plus tard, après m’être bien évidemment débarrassé de la pèlerine et de la soutane, je m'engouffrais lentement dans les profondeurs de la terre. Une grosse corde me ceinturait la taille, tandis que l’autre bout restait fixé à un arbre. Le brave curé veillait à ce que tout tienne bon.

Vu la profondeur du trou, la corde aurait été certainement beaucoup trop courte, mais au bout d’une bonne dizaine de mètres de descente, j’apercevais dans la paroi rocheuse comme une étrange cavité. Je m'y engageai assez difficilement. Docteur, vous n'auriez pas pu y pénétrer !

Dodelinant en bougonnant, je lui fis comprendre que je n'étais pas aussi enveloppé qu'il voulait bien le laisser entendre.

"et éclairé par la faible lueur de mon briquet, je constatais qu’elle aboutissait à l’entrée d’une immense grotte naturelle. Comme des torches jonchaient encore le sol à son entrée, j'en enflammai une. En traversant rapidement les lieux, je remarquai dans un coin de la caverne des marches en pierre menant à une épaisse porte en chêne vermoulu. Grâce à mon passe, je parvins à l'ouvrir. La porte débouchait directement à l’orée d'un bosquet, une trentaine de mètres seulement la séparait du " trou du diable ". Son entrée était tellement bien dissimulée qu’elle ne pouvait être visible de l’extérieur. Cela me permit de retrouver le curé, toujours penché au-dessus du trou, époustouflé de me voir ressurgir subitement derrière lui.

- Par quelle diablerie avez-vous fait cela, mon fils ? s'écria-t-il, interloqué.

- Aucune ! Venez vous rendre compte par vous-même, monsieur le curé, de ce que je viens de découvrir un peu plus loin.

Il m’emboîta rapidement le pas, et nous pénétrâmes tous les deux dans la caverne, guidés par la lueur de la torche. En balayant lentement l’ensemble de la paroi, nous distinguâmes des stalactites de toutes tailles descendant de la voûte rocheuse. Ce lieu aurait été incroyablement féérique, s’il n’avait servi malheureusement à célébrer leurs lugubres cérémonies, car il était agencé de telle façon que les adeptes pouvaient ainsi pratiquer toutes leurs sorcelleries, sans que personne ne puisse ni les voir, ni les entendre, et surtout les surprendre.

Ainsi défilaient sous nos yeux écarquillés, des tableaux, des peintures et des fresques, tous à l’effigie du diable. Une main en bois sculpté, sans doute un support d’envoûtement, noirci au feu et rehaussé de traces de cire rouge, figurant comme une blessure, maintenait fermement une poupée d’étoffe avec cheveux. La poupée était partiellement piquée d’épingles. Elle trônait sur le dessus d’une étagère, près de nombreux grimoires, plus ou moins moisis, qui s’empilaient les uns sur les autres. De très lourdes cannes ornées d’animaux liés à la magie, certaines avec des serpents qui s’enroulaient tout autour, et d’autres avec des crapauds sculptés sur leur pommeau, étaient toutes alignées dans un recoin de la grotte. Les plus hautes des stalagmites servaient de support à des torches, pour être à hauteur d’homme sans aucun doute, afin d'éclairer de leur mieux l'horrible spectacle qui se déroulait, le moment venu, dans cette chapelle improvisée. Sur un fauteuil tout en bois sculpté, un oiseau empaillé aux ailes déployées trônait au sommet du dossier symbolisant ainsi "le pouvoir et le savoir". Mais le pire de toutes ces horreurs s’étalait au centre de cette caverne. C’était une immense table en pierre, table de sacrifices. Des chandeliers en forme de diable, portant de très grands cierges noirs l'entouraient. Des traces récentes de sang coagulé tachaient par endroit un cercle magique dessiné à la craie, figure traditionnelle reproduite dans les grimoires de sorcellerie. Du sang coagulé recouvrait également la pointe d'un grand poignard noir orné de trois têtes, l'une regardant vers le haut, l'autre vers le bas, et la troisième derrière. Là, ma douce Mathilde, je peux vous assurer que j’avais sous les yeux, la parfaite panoplie de la " vilaine sorcière ".

Holmes se redressa subitement dans son fauteuil, puis s'étira longuement. Il me demanda une cigarette. Pendant qu'il l'allumait, Mathilde en profita pour le questionner.

- Pourquoi parlez-vous de cierges noirs dans votre récit ? Cela fait-il également partie de leur rituel ?

- Bien sûr, car la messe noire est une parodie de l’office catholique, mais avec une inversion du rituel où obscurité, sacrifice humain ou animal sont obligatoires. La profanation des ingrédients, comme des cierges noirs, crucifix renversé, rituels inversés, doit satisfaire amplement à leur Satan, cet orgueilleux ange déchu qui n’a pas voulu être sous la coupe de Dieu. Et cet emplacement était rêvé pour créer tout cela, Mathilde. Aussi, j'enveloppais délicatement le poignard dans mon écharpe, puis me mis à plat ventre, afin de mieux examiner l'endroit où des traces boueuses de pas se dessinaient, dont certaines étaient incroyablement gigantesques! Bien évidemment, comme je m’y attendais, aucune d’entre elles ne correspondait aux sabots de Sherrinford. Et à proximité de la table en pierre, je ramassai délicatement un petit mouchoir en dentelle, avec l’initiale A brodée dans son angle, tout maculé de sang et de boue.

- A comme Alice, murmurait le pauvre curé, horrifié.

Il n’arrêtait pas de se signer devant de telles monstruosités, où l’odeur de la mort flottait encore dans l’air. Nous n’avions qu’une hâte, c’était de fuir le plus rapidement possible ce lugubre endroit, afin de pouvoir respirer l'air pur de la lande !

- Mais Holmes, m’écriai-je effaré, comment peut-on être encore fanatique de Satan, à ce point?

-Il y a des fanatiques partout, cher docteur, et de ce fait, tout sert de prétexte à diaboliser autrui ! Prenons en exemple le violoniste préféré de Mathilde, Niccolo Paganini. Je peux vous assurer qu’il fut une des plus troublantes incarnations du romantisme : maigre, fiévreux, diabolique séducteur capable de spectaculaires élans de générosité comme de la pire avarice. Ce " diable " de Paganini fut-il ainsi nommé, car sa longue silhouette et ses contorsions lorsqu’il jouait du violon faisaient penser tout bonnement au Malin. Le personnage portait en lui tout ce qui pouvait frapper l’imagination du public. Parfaitement conscient de son impact, il a su soigner sa légende par des coups d’éclat et de folles audaces violonistiques, qui en laissèrent tout de même quelques-uns sceptiques. A cette époque là, certains chroniqueurs auraient même écrit de lui : "  il joue deux notes fulgurantes, cabalistiques pour Satan, qui chaque fois les dépose à la chancellerie du Ciel, en acompte sur son recours en grâce auprès de Dieu ".

- Cela ne m'empêchera pas d'aimer Paganini, mon cher. C'est si vieux, cette" Campanella" rajouta-t-elle, ironiquement, car depuis que je vis à Londres, vous ne me jouez même plus de violon !

Le visage d'Holmes s'éclaira d'un petit sourire malicieux.

" Soit, ma chère. J'y songerai prochainement. Aussi, poursuivit-il, après avoir quitté ce diabolique endroit, je rencontrai dans la foulée l’inspecteur de police chargé de l’affaire. Il s’agissait de l’inspecteur Morgan Harley, un jeune homme d’une trentaine d’années, tout nouveau dans le secteur, et qui a fort bien réagi au nom de Sherlock Holmes, ayant eu l’occasion à maintes reprises de faire plusieurs déplacements à Scotland Yard. Mais apparemment, je venais de constater qu’il n'appliquait pas encore tout à fait mes méthodes. Je déposais délicatement sur son bureau, face à lui, le poignard et le petit mouchoir retrouvés dans la grotte.

- Savez-vous que ceci est un poignard rituel, inspecteur Harley, utilisé en magie satanique. Je suppose que vous n’êtes pas sans savoir qu’une secte luciférienne opèrerait dans la région, car on en parle pas mal, en cette fin de siècle au village, et que les immolations et le sang feraient très souvent partie des rites de certaines de leurs messes noires. Certains utilisent des animaux, tel le sang du bouc qui fait mourir ou encore le sang de chameau qui rend fou. Mais hélas, ce jour là, inspecteur, tout comme au Moyen Age, c’est une jeune fille qui a payé de sa vie.

Face à mes explications, le jeune Harley demeurait figé.

- Depuis le début de cette affaire, inspecteur, je me pose une question : à savoir s'il y a eu dans l'année en cours ou les années précédentes, des disparitions de jeunes filles dans votre comté ou dans la région ?

- Effectivement, Monsieur Holmes. Depuis que j'ai été nommé dans ce secteur, trois jeunes filles sont portées disparues. Elles avaient entre 16 et 18 ans.

- Ah ! m'exclamais longuement. Tout laisserait donc à penser qu’elles auraient pu subir le même sort que la pauvre Alice Brent ? Vous serait-il possible de me donner leurs dates de disparitions, s'il vous plaît ?

Il se dirigea prestement vers une armoire.

- Mais nous n'avons jamais retrouvé leur corps, dit-il, en me tendant un dossier.

J'en pris rapidement connaissance.

- C'est bien ce que je pensais…ce sont des disparitions régulières donc "rituelles"; une par trimestre en fait : mars, juin, septembre, et maintenant Alice en Décembre. Mais cette fois-ci, on a voulu en plus coller le crime satanique sur le dos de quelqu’un, en l’occurrence le pauvre Sherrinford ! Pourquoi ?

- Mais si ce n’est pas lui l’assassin, comment se fait-il qu'il se trouvait près de la victime, sa main encore pleine de sang ?

-Tout simplement parce que depuis un certain temps, Sherrinford avait pris l’habitude d'aller se balader dans le secteur.

- Et s'il était également adepte de cette secte ?

- Inspecteur ! J’ai également découvert dans divers écrits, que la magie présenterait plusieurs visages, et c’est sans aucun doute cette inquiétante dualité que l’on essaie de tout temps d’exprimer en distinguant la magie blanche, ou magie de la main droite, bénéfique celle-ci, de la magie noire, magie de la main gauche, maléfique. Bien évidemment, vous savez tout comme moi que Sherrinford est bien incapable de distinguer l’une de l’autre ! Si jamais il avait commis cet odieux crime, toute sa force étant localisée dans sa main droite, comme je l'ai constaté justement ce matin encore dans sa cellule, il l’aurait instinctivement utilisée pour poignarder cette jeune fille, puisque c’est un droitier! Logique ? Alors, comment expliquez-vous que sa main gauche était encore couverte de sang, alors qu'il n'avait ni couteau sur lui et ni poignard dans sa main, que vous n'aviez toujours pas retrouvé l'arme du crime, et que selon le coroner, la jeune fille avait été poignardée violemment. Tout simplement parce qu’une autre main, mais maléfique, celle-ci, l’avait obligatoirement guidée, afin de mieux le faire accuser de cet odieux crime satanique.

L'inspecteur dodelinait sans cesse.

- Voilà pourquoi, inspecteur, j’aimerais vous aider à découvrir les véritables assassins. Accompagnez-moi déjà jusqu’à cette grotte. Je vous montrerai l’endroit précis où cette jeune fille a été sauvagement poignardée. Mais je vous en prie, inspecteur, libérez Sherrinford de prison, et dès ce soir, s'il vous plaît ! Il ne peut pas être coupable de ce crime !

Après avoir enfin suivi mes conseils, à onze heures et demi, et dans la plus grande discrétion, l’inspecteur Morgan Harley raccompagnait Sherrinford jusqu'à la cure. Et là, il nous restait plus qu'à reprendre l'affaire à zéro.

Notre premier plan était de rentrer en contact avec certains membres de cette secte luciférienne, persuadés qu'il y avait certainement dans le hameau, de nombreux adeptes. Je lui proposais la solution suivante : vu ma ressemblance avec Sherrinford, je remplacerai mon frère aîné au village durant un certain temps, afin de mieux observer les habitudes des uns et des autres. Et le lendemain matin, en compagnie de l’inspecteur Harley, et dans la peau de Sherrinford, je déambulais fièrement à ses côtés dans les rues de Tredannick Wollas.

C’était jour de marché et la petite place du village grouillait de monde. Au fur et à mesure que nous nous approchions de l'église, les réactions ne se faisaient pas attendre.

- Mais c’est Sherrinford ! s'écriaient les uns,

- Il est donc libre ? Vraiment ? s'en étonnaient d'autres.

Beaucoup tenaient à nous accompagner jusqu’à l’église. Et tel une procession, nous étions escortés dans les ruelles du hameau qui se remplissaient à notre passage. Cela faisait une cacophonie assourdissante, où se mêlaient à la fois les cris des enfants, les aboiements des chiens et les caquetages des volailles affolées !

" Monsieur le curé, monsieur le curé !" hurlaient les gamins en cavalant vers l’église, "Sherrinford est libéré !"

Le brave curé a joué son rôle à la perfection. Heureux, il a surgi en courant de son église, les bras grands ouverts.

- Entre vite, mon garçon ! Mais laissez-le donc, leur criait-il, vous voyez bien que vous l’effrayez avec tous vos cris !

L’inspecteur nous a accompagnés jusqu’à la cure. Le premier acte de la pièce venait de se dérouler avec succès, mais le plus dur restait encore à faire !

Connaissant parfaitement toutes les habitudes et manies de Sherrinford, le père Roundhay me conseillait, dès qu'il le pouvait. C'est ainsi que le jour même, j’allais à la ferme chercher le lait et aidais le forgeron à ferrer les chevaux. Je sonnais les cloches pour l’angélus, et le tocsin pour la mort de la vieille Agatha ; j’ai même servi la grand messe de Noël, Watson ! … Watson ! Je vous en prie !

Je pouffai littéralement de rire, imaginant subitement mon ami Holmes en enfant de cœur.

" Je sortais en fin de journée pour de longues promenades dans la lande et finissais par m’égarer à la lisière du bois de Beauchamp Arriance, tout comme Sherrinford. Un jour, je m'aperçus rapidement que deux individus m'observaient. Il ne m'avait pas été trop difficile de reconnaître l’un des deux protagonistes, pour la bonne raison qu'il s'agissait en fait du fils du forgeron.

Mon intention était de me rapprocher du "  trou du diable ", afin d'observer la réaction des deux lascars. Je demandais le jour même au père Roundhay d'effectuer le déplacement jusqu'au commissariat, afin de remettre un courrier détaillé à l'inspecteur Harley. Et le lendemain après-midi, étant toujours suivi par les deux gaillards, je mis mon plan à exécution. A peine étais-je arrivé à proximité du trou du diable qu'une voix tonitruante me faisait sursauter.

- Alors Sherrinford, tu te promènes encore dans ce coin-là ?

Bien évidemment, c’était Amberley, le fils du forgeron, garçon très imposant, taillé dans la masse ; imaginez un peu, Watson : un mètre quatre-vingt-quinze pour cent cinquante kg ! Le cogneur Stève Dixie n'était qu'un gringalet à côté! J’avais déjà remarqué le bout carré de ses bottes en cuir. Elles correspondaient à s’y méprendre aux empreintes laissées autour de la table en pierre. J’ai donc joué mon rôle jusqu’au bout, quitte à en faire les frais, car je connaissais l’animal : un être brutal, un coléreux à la tête complètement vide. En revanche, l'homme qui l'accompagnait m'était totalement inconnu. Naïvement, je leur indiquais du doigt l'endroit du trou.

- Là, c'est Satan... Satan !

- Mais qu’est-ce que tu lui veux à Satan, grogna Amberley ! Tu voudrais voir de près la maison du diable, toi aussi ? C’est ça ? Comme Alice ?

- Laisse-le donc, répondit l’autre, en le rabrouant sur-le-champ, tu vois bien que c’est un idiot ! Collons-lui plutôt une bonne raclée, afin qu’il ne revienne plus traîner dans le coin. Cet abruti va finir par nous faire repérer, à la fin !

Je sentais que le poisson mordait à la ligne et je jubilais. Je me dirigeais vers l’autre entrée, en leur balbutiant :

- Alice ! ... Belle Alice ! ... mais... morte là, … pour Satan. Content, Satan ?

Surpris, ils se sont regardés.

- Ambrose, tu crois qu’il serait capable de se rappeler !!! Ce qui est sûr, rajouta-t-il, c’est qu’il nous avait vus quand on l'a entraînée de l’autre côté du bois, pour l’enfermer dans la grotte, car il baguenaudait encore dans le coin, ce jour là ! Elle beuglait assez fort la garce et rien qu’aux cris qu’elle poussait, il a bien dû se rendre compte qu’il se passait quelque chose à l’intérieur !

- Mais Amberley, quand je suis revenu avec les gendarmes, le lendemain après-midi, il n’a même pas réagi ! Arrête un peu de te poser tant de questions ! Je te dis que ce gars là est complètement cinglé ! C’est un débile, tu le vois bien, il peut pas se souvenir de nous ! En tout cas, tout cela c’est de la faute d’Alice, elle n’avait pas à traîner dans le coin. Je suis sûr qu’elle avait découvert la grotte. Pipelette comme elle était ! Tout le village l'aurait su !

- On aurait dû faire comme d’habitude ! Après la messe noire, il fallait la balancer dans le trou directement, comme les autres. Et ton idée de prendre ce débile mental pour l’accuser du meurtre, tout ça parce que tu ne le supportes plus ! Elle était bonne ! La police l’a déjà relâché! Et le voilà à nouveau à fouiner dans le coin ! Mais c'est pas vrai !!! Bon sang, mais tu vas foutre le camp, une bonne fois pour toutes, hurla-t-il dans mes oreilles, en me secouant allègrement, alors que j'observais Amberley, qui serrait fermement quelque chose dans ses mains. Suivant mon regard, le gars se retourna vers son copain.

- Mais qu’est-ce que tu fous avec ce merle ?

- Tu sais bien que c'est pour demain soir. Belzébuth a besoin de plumes pour le transport de ses forces magiques. J’avais repéré qu'il y avait un nid dans le coin. Le piaf est bien gras, Belzébuth pourra toujours se servir de ses entrailles si jamais je ne peux pas lui rapporter une des mes poules noires. J'ai l'impression que mon père se doute de quelque chose !

Je restais stoïque et immobile, face à eux deux, regardant tristement Amberley en train d’étouffer le petit merle qui se débattait une dernière fois dans ses grosses mains calleuses. Constatant que je ne bougeais toujours pas, il donna le merle à son copain, puis il me beugla à son tour dans les oreilles, en m'agrippant le col, le poing levé vers moi.

- Tire-toi, sinon je t’assomme. Et la prochaine fois que je te retrouve là, en train de rôder encore dans le coin, tu t’en rappelleras, tu peux me croire !

Je rebroussais chemin illico, prenant mes jambes à mon cou. J’en savais largement assez pour raconter l'affaire à l’inspecteur Harley. Et ce soir là, nous décidâmes ensemble d'élaborer un second plan, afin de mieux surprendre les adeptes au cours de leur fameuse messe noire.

Le lendemain matin, toujours sous l'apparence de Sherrinford, je rendis une petite visite coutumière au vieux forgeron. Une fois de plus, j'actionnais le soufflet qui alimentait la braise de la forge, amusé par le manège d’Amberley. Un moment donné, alors que son père tapait dur sur l’enclume, forgeant le fer à cheval rougi, qu'il maintenait fortement dans sa pince, le fils est passé furtivement derrière son dos, en coinçant sous son bras la tête d’une pauvre poule noire, qui se demandait bien ce qui lui arrivait ! J’en ai donc facilement déduit, Mathilde, qu’elle pouvait dire définitivement adieu à son douillet poulailler.

- Que peuvent-ils bien voir dans une poule noire ? s’étonna-t-elle.

- La divination par les entrailles, ma chère. Sachez qu’un foie enveloppé d’une double tunique est un présage de mort.

- Hum ! Ravie de le savoir, lui répondit-elle, à moitié écœurée.

" et comme j'ignorais à quelle heure devait débuter leur fameuse cérémonie, à la tombée de la nuit, je me dissimulai déjà dans un coin du bois, afin de mieux observer leur "manège". Je commençais à être frigorifié, car un petit givre glacial se mettait tout doucement à tomber, quand brusquement une violente bourrade dans le dos me propulsa dans un buisson ardent.

- Sherrinford ! ça commence à bien faire, bon sang ! Mais qu’est-ce que tu fous encore là, à cette heure ?

 

Amberley venait de me tomber brutalement dessus. Je me suis débattu comme un lion, mais il m'a traîné de force jusqu'à la deuxième entrée. Un adepte qui allumait les torches et les grandes bougies noires, est venu lui prêter main forte. Pendant qu'Amberley me bâillonnait, l'autre me liait les pieds et mains. Puis Amberley s’est mis à me rouer de coups. J’ai vivement simulé une crise de catalepsie, avant qu'il ne m'achève totalement.

- Mais arrête, arrête de le frapper comme ça, s’écria l’autre gars, regarde, il ne bouge plus !

Amberley se pencha vers moi.

- T'as raison ! On dirait bien qu'il est mort !

- T’avais pas besoin de t’acharner sur lui comme ça ! Qu’est-ce qu’on va en faire, maintenant !

- Dépêchons-nous d’aller le jeter dans le trou du diable avant que les autres n'arrivent !

L'un a pris les bras, l'autre les pieds. Je sentis tout doucement mon corps se soulever…

- Trop tard, s’écria le gars, en balançant une pluie de jurons, il y en a déjà quatre qui viennent d’entrer dans la grotte !

-On n’a qu’à le laisser ici, chuchota Amberley, y gène pas. On s’en débarrassera après la messe.

Ils m'ont déposé dans un coin de la grotte, puis ils sont partis.

- T'aurais pas vu le poignard ? Je ne le retrouve plus, demandait le gars.

-Je crois qu'il y en a un autre, lui a répondu Amberley ; vas voir vers les grimoires. Il est un peu plus petit, mais pour ce soir, ce ne sera qu'un sacrifice animal !

A moitié assommé par les coups qu’Amberley venait de m’asséner, et les côtes plus qu’endolories, je restais prostré dans le coin le plus sombre de la caverne, attendant patiemment que le spectacle commence. Les adeptes arrivaient par petits groupes. J'en reconnaissais quelques-uns uns au passage : la laitière et son mari, les deux petites filles de la vieille Agatha, et même le fils du facteur. Ils portaient tous des grands capuchons noirs. C'était un manège étrange.

Une fois la messe noire commencée, et malgré mes pieds liés, je me hissais tant bien que mal jusqu’à la torche la plus proche, afin d’essayer de brûler les satanés liens qui me serraient trop fortement les poignets dans le dos. Hélas, après maintes tentatives, la stalagmite étant un peu trop haute, et ne voyant pas du tout ce que je faisais, je brûlais surtout le dessus de ma main gauche.

- Et ils ne se sont rendus compte de rien ?

- De rien du tout, Mathilde. C'était le bon moment, le plus poignant, le moment fatidique, ma chère ! celui où la "vieille" sorcière, dans un nuage de fumée que dégageait la combustion de plantes hallucinogènes, dressait fermement son Satan. C'était un grand Satan de bois, tout noir et tout velu. Ténébreuse figure que chacun voyait à sa façon dans leurs hallucinations collectives, les uns n’y trouvant que terreur, tandis que d’autres tombaient émus, à genoux.

-Vous pensez qu'il s'agissait du terrible Radix pedis diaboli, Holmes, dans la fumée ?

- Surtout de belladone, Watson ! mais certainement mélangée à d'autres. Désolé, docteur, mais là, je n'ai pas eu le temps nécessaire de procéder à l'analyse chimique !

- Et c’était vraiment une vieille sorcière qui faisait cette messe noire ? Tout à l'heure vous disiez qu'elles étaient plutôt jolies, en général !

Holmes ébaucha un sourire.

-Dans ce sens là "  vieille " est un titre honorifique, ma chère, mais elle peut fort bien être jeune. Celle-là comptait une bonne trentaine d'année ! D'ailleurs dans son livre "  la sorcière ", Jules Michelet la décrivait très bien !

"La fiancée du Diable ne peut être un enfant ; il lui faut bien trente ans, la figure de Médée, la beauté des douleurs…" etc… etc… Et lorsque je parvins enfin à me libérer de tous les liens, je regagnai rapidement mon petit coin bien sombre, attendant, comme prévu, l’arrivée de l’inspecteur Harley. Bien évidemment, la pauvre poule noire n’échappa pas à son mauvais sort, et en plein cœur du cercle magique, elle reçut le coup fatal. Mais nous ne saurons jamais ce que " la vieille sorcière " aurait pu lire dans ses entrailles, car c’est à ce moment précis que l’inspecteur Harley, accompagné d’une bonne vingtaine de ses hommes, fit brutalement irruption dans la grotte. Dans un nuage de fumée qui flottait encore dans l'air, s'en suivit alors une panique générale. Les coups pleuvaient dans tous les sens, entre policiers et adeptes, mêlés les uns aux autres. La jeteuse de mauvais sorts et ses "bonnes amies" s’en donnaient à cœur joie, les insultant et leur promettant du malheur au moins jusqu’à la fin du siècle prochain. Ce qui prouve que les femmes sont capables de toutes les vilenies possibles ! n'est ce pas, cher Docteur ?

- Holmes ! Voyons !

Mathilde soupira profondément, en lui adressant de longs signes négatifs, sans relever ses propos.

-"Tandis qu'un des adeptes tentait de s'enfuir, je l'interceptais dans sa lancée, mais soudain sa lourde canne en bois sculpté m’assomma diaboliquement. J’ignore encore si elle portait un crapaud ou un serpent sur son pommeau, mais je peux vous assurer que le choc a été si violent, que je me suis retrouvé instantanément en enfer !

-D'où la vilaine plaie que vous portez au front ?

- Hum, acquiesça-t-il longuement.

-Vous l’avez quand même cherché, Sherlock, explosa Mathilde, qui se contenait depuis un bon bout de temps. Il suffisait de les surprendre avec l'inspecteur ! Vous n'aviez pas besoin d'aller dans les bois avant lui ! Et s’ils vous avaient jeté dans leur trou ! Et si jamais ils n’avaient pas cru à votre catalepsie ! Et si…

- Ah ! grogna Holmes, mais il me fallait des preuves, des preuves avant tout! Tiens !… s'exclama-t-il, le doigt dirigé vers l'entrée, mais que fait ce chat noir chez vous, ma chère ? Savez-vous qu'ils portent malheur !

-Vous n'allez quand même pas recommencer, Sherlock ! Vous le connaissez très bien ce chat, lui répliqua-t-elle en se levant, car c'est celui de votre logeuse. Excusez-moi, messieurs, il est déjà dix huit heures trente, et je dois fournir quelques consignes à Adélaïde, pour notre réveillon de ce soir. Désirez-vous boire quelque chose ?

- Du porto, docteur ? me demanda, Holmes.

J'acceptais volontiers. Le petit minet de Mrs Hudson venait de sauter sur mes genoux et s'installait confortablement en boule. Il n'attendait que mes caresses.

- Dites-moi, Holmes, savez-vous au moins pourquoi les chats noirs portent malheur ? Celui là a l'air bien gentil.

-C'est encore de la faute de la femme du Moyen Age. Comme la femme et le chat sont deux parfaits compagnons inséparables, mystérieux et dangereux tous les deux, si jamais la femme était considérée comme une sorcière, le chat devenait forcément son diabolique assistant. Et bien souvent, il se trouvait brûlé au bûcher avec elle, soupçonné d'avoir servi à l'exécution des maléfices ! De plus, s'il était noir, comme la magie !…

- Vous êtes incollable ! mon cher. Je vais quand même tenter de vous coincer ! Dites-moi, Holmes ! Quelle est la différence entre la magie, la sorcellerie, et le satanisme ? Je m'y perds complètement !

Pris au jeu, il me fixa attentivement, en se recalant dans son fauteuil, un petit sourire aux coins des lèvres. Je retrouvais à nouveau mon compagnon, son comportement et son œil vif.

- Soit ! Il arrive souvent de confondre le satanisme avec la sorcellerie, mais il n'est pas de même nature. La sorcellerie consiste en un ensemble de pratiques, sans référence réelle à un maître. Le satanisme est une religion, disant que Dieu est un usurpateur, et que Satan reviendra pour prendre sa place, un jour ou l'autre. Et déjà au Moyen Age la sorcellerie avait été plus ou moins "satanisée" par l'église.

- Et la magie, Holmes ? demandais-je aussitôt, pensant que j'allais pouvoir le coller sur cette question.

-Elémentaire mon cher ! Sachez que la magie se distingue de la sorcellerie par le fait qu'elle n'est pas un ensemble de recettes, mais une réalisation spirituelle ! Tout simplement !

Contemplatif et admiratif à la fois, je l'applaudissais chaleureusement. Surpris, le chat, n'écoutant que son courage, sauta et se faufila prestement sous un des fauteuils.

-Excellent, cher ami. Excellent ! Mais dites-moi, Holmes, avez-vous eu le temps de consulter leurs fameux grimoires, au moins ?

-Oui. Grâce à l'inspecteur, qui en avait apporté trois à la cure. Le Dragon Rouge, le Dragon Noir, et celui de la Poule Noire.

Il s'approcha tout doucement de moi.

- Regardez, Watson, me dit-il à voix basse, en fouillant dans la poche intérieure de sa veste, j'y ai retrouvé ce petit livret dans l'un d'eux.

Surpris, je fixais le livret que mon ami exhibait fièrement sous mon nez. Il s'en fallut de peu qu'il ne tombât en poussière dans sa main, tant la moisissure avait fait des ravages sur ses feuillets jaunâtres.

-J'y ai découvert une chose incroyable, me chuchota-t-il à l'oreille ! Des alchimistes sont arrivés à fournir des renseignements précis sur un élixir de longue vie qui assurerait une quasi-immortalité physique. Le Comte de Cagliostro, et le Comte de Saint-Germain, au XVIIIè siècle en seraient les chefs de file. Une légende raconterait que Descartes, célèbre philosophe français, soit disant mort en 1650, aurait lui aussi réussi à fabriquer cet élixir. Son enterrement aurait été factice, car il vivrait actuellement en Laponie !

- Mais par quel miracle, mon ami ? répliquai-je dans le même ton, légèrement incrédule.

- Par le feu, docteur, murmura Holmes, convaincu. On obtiendrait ce rajeunissement par le feu cosmique. La manipulation du feu et de la pierre philosophale émettant des ondes, changeraient ainsi le corps de l'alchimiste, en annulant son processus de vieillissement !

Je demeurais perplexe, face à Holmes le chimiste, subitement songeur, serrant fortement entre ses mains, le précieux livret en décomposition.

-Qu'allez-vous encore imaginer, lui dis-je ? Une vie éternelle ! Holmes, enfin !

-Liriez-vous dans mes pensées, Watson ? s'étonna-t-il, subitement.

- Mais Holmes ! quand même !

- A mon tour de faire un petit pari avec vous, cher docteur, me déclara-t-il, en se recalant dans son fauteuil. Pour me rendre compte de la véracité de ces écrits, j'aimerais que vous me fassiez un récit détaillé de l'aventure de Sherrinford, sans en omettre le moindre détail. Mais surtout, Watson, surtout, n'en parlez jamais autour de vous, ni au Strand Magazine. Je conserverai vos écrits précieusement. Et dans cent ans, mon ami, si je suis toujours en vie, installé quelque part dans un endroit du globe où j'aurais choisi de demeurer, j'en dévoilerai un jour le contenu!

- Mais nous ne serons plus de ce monde pour le vérifier, mon ami ! chuchotai-je, abasourdi. Votre pari ne tient absolument pas debout, Holmes !

- Mais parlez pour vous, mon cher doc…

Mathilde rentrait à nouveau dans le salon, tenant un plateau d'argent fermement dans ses mains, et le déposa sur une petite table, face à nous. Holmes me fit signe de ne rien rajouter. Il saisit aussitôt la carafe de porto et remplit trois petits verres.

- Je parierais que vous étiez encore plongé dans votre diabolique récit, Sherlock ? dit-elle, en prenant place dans son fauteuil.

Bien évidemment, nous lui adressâmes aussitôt d'un même élan, un long signe de dénégation.

- J'aimerais quand même savoir comment vous avez retrouvé vos esprits, lui dit-elle, après avoir trinqué. Il y a dix minutes, lorsque je vous quittais, vous veniez de recevoir un violent coup de canne sur le crâne. Aviez-vous complètement perdu connaissance dans cette grotte ?

- Oh, que oui ! Et quand j'émergeais quelques jours plus tard, je me trouvais dans la chambre que le curé avait mise à ma disposition. Entendant vaguement des bribes de voix qui bourdonnaient autour de moi, j'ouvris les yeux. Le père Roundhay s'entretenait avec l'inspecteur Harley et Mycroft, qui avait été prévenu aussitôt par télégramme, de la gravité de mon état. Mais ne lui en voulez pas, Mathilde, car il n'a pas souhaité vous affoler, préférant se rendre immédiatement sur les lieux, afin de constater de visu les dégâts. Nous sommes d'ailleurs rentrés ensemble, et il sera avec nous ce soir, pour réveillonner.

- Dites-moi, Holmes, il vous avait quand même drôlement bien sonné avec son coup de canne maléfique, le gaillard !

-Exact, docteur ! Et un peu plus tard, rajouta Holmes, en avalant une gorgée de porto, l'inspecteur me confirmait que tous les adeptes étaient sous les verrous.

- Tous arrêtés ! m'écriai-je, estomaqué.

- Bien évidemment ! Ils méritaient tous d'être condamnés pour complicité de meurtre, Watson. Ils assistaient inertes au crime des jeunes filles ; mais "drogués" comme ils pouvaient l'être par les gaz de fumée maléfique et l'alcool aidant, car ils apportaient avec eux tout ce qu'il fallait pour fêter l'événement, ils ne réagissaient même pas. Dans leur esprit torturé par leurs stupides croyances, la jeune fille devenait à leurs yeux un sublime présent qu'on offrait à Satan !

- Incroyable ! murmurai-je, en observant Mathilde, livide et sidérée par tout ce qu'elle venait d'entendre.

-L'inspecteur m'apprenait également une chose "incroyablement fantasmagorique" qui se déroulait au sein de cette secte satanique. Savez-vous que chaque année, les adeptes étaient baptisés d’un nom bien précis, correspondant aux princes et aux grands dignitaires de la Cour Infernale. Belzébuth, c'était la sorcière. Il y avait Satan et Eurynome, le fameux prince de la mort, mes deux chers amis qui m'ont si bien traité dans la grotte, et j'en passe ! … Une quinzaine de noms était ainsi attribués, tous les ans. Et quand on pense qu'autrefois, c’était sur la lande, et bien souvent près d’un vieux dolmen celtique, ou à la lisière d’un bois, qu'ils s'improvisaient des églises imaginaires, dont le dôme devenait le ciel. L’aubaine pour eux a été la découverte de cette grotte, qui leur a permis d'entretenir, au fils des siècles, leurs sciences occultes, exerçant cette magie satanique fondée sur des pactes lucifériens, mais dont la pratique demeurait strictement interdite.

- Et ce pauvre Sherrinford s'était trouvé mêlé à cette terrible histoire !

- Mais il a retrouvé sa liberté, Mathilde, qui est certainement pour lui la chose la plus précieuse qui puisse réellement exister dans sa pauvre vie.

Holmes s'arrêta de parler quelques instants, pour compter machinalement sur ses doigts.

- Nous sommes donc le 31décembre…

- Oui, Holmes et jusqu'à minuit !

- Quatre jours, Watson ! Pendant quatre jours, complètement inconscient, à cause de mon satané coup de canne maléfique !

-Vous étiez certainement plongé dans un semi-coma !

-Et là, je comprends un peu mieux le sens du télégramme du Père Roundhay réagit Mathilde aussitôt, puisque le 28 décembre, vous étiez toujours inconscient.

-Exact. Il ne souhaitait certainement pas vous angoisser, mais apparemment, il vous connaissait très mal.

-Savait-il au moins qui j’étais ?

Holmes eut un léger rictus.

- Un soir, j’ai maladroitement fait tomber mon portefeuille à ses pieds. Il m'a gentiment aidé à ramasser les papiers éparpillés sur le carreau, et m'a tendu votre photographie. Celle où vous portez Harry dans vos br..

Le regard de Holmes fit tout à coup le tour de la pièce.

- Comment se fait-il que nous ne l’ayons toujours pas encore entendu ? Qu’en avez-vous fait, Mathilde ? L'avez-vous fait empailler ?

- Bien évidemment, mon cher, car j'ai suivi vos conseils, dit-elle dans un éclat de rire. Adélaïde s’en est occupé une bonne partie de l'après-midi, afin qu’il ne vienne surtout pas interrompre le cours de votre récit. Mais il doit commencer à trouver le temps long, la haut, dans sa chambre!

Mathilde se leva et se dirigea vers l’escalier.

-Adélaïde... quand vous aurez fini de préparer Harry, pour ce soir, cria-t-elle du bas des marches, il pourra enfin descendre !…

Elle revint vers nous.

- Et si vous cessiez de nous parler de toutes ces diableries, une bonne fois pour toutes ! supplia-t-elle, en se penchant vers lui. Nous en avons largement assez appris pour aujourd’hui, ne croyez-vous pas ?

Elle déposa délicatement un baiser sur ses lèvres.

- Je vous conseillerai d'aller faire un petit tour chez le barbier, avant qu'il ne ferme boutique. Soyez au moins présentable pour accueillir 1900 !

- Comme il vous plaira, ma chère ! Vade retro… SA....TA....NA, grimaça-t-il, le souffle à moitié coupé par l'assaut d'un petit "diable", bien réel celui-là, qui venait de surgir dans la pièce en courant, pour atterrir brutalement dans ses bras, en lui rappelant le bon souvenir de ses côtes endolories…

Aux douze coups de minuit, Holmes s'éclipsa pour aller dans le couloir. Quand il revint dans la salle à manger, il tenait son violon. 1900 débuta avec Offenbach, au son d'une "Barcarole".

 

Ainsi s'achève l'aventure de Sherrinford. Je remettrai ce jour l'intégralité de ce récit à Sherlock Holmes, qui il l'a tant souhaité. Et si jamais son histoire parvenait un jour jusqu'à vous, chers lecteurs de l'an 2000, c'est que cet homme qui demeure à mes yeux le logicien le plus incisif et le policier le plus dynamique de l'Europe, serait alors devenu également le plus grand alchimiste de notre planète !

Londres, 10 Janvier 1900
John.H. Watson

 


  

Cette nouvelle holmésienne a été réalisée grâce aux informations recueillies dans les ouvrages suivants :

- Le Secret des Sorcières, de Katherine Quenot

- Attention Magie, enquête E. et C. Chamond

- Le diable dans tous ses états d’Agnès Zamboni

- La sorcière - Jules Michelet

- Sherlock Holmes - Conan Doyle

- Moi Sherlock Holmes - W.S. Baring-Gould

- Les vacances de Sherlock Holmes - Martine Ruzé-Moëns ( 1er prix du roman policier -festival de Dinard 1997)

Martine Ruzé-Moëns